1953 Auteure : Christine B. pensionnaire en première.
Si je me souviens bien…
« On peut comparer les enfants à un vaste peuple
qui aurait reçu un secret incommunicable,
et qui peu à peu l’oublie, sa destinée
ayant été prise en mains
par des nations prétendues
civilisées »
Julien Green
La voiture roulait lentement dans la grande allée de tilleuls. Je me retournai, et vis, dernière image, la statue du Sacré-Cœur les bras ouverts, à travers le tremblant rideau de mes larmes.
- :- :-
Tout avait
commencé un matin de juin. J’étais dans
ma chambre lorsque maman entra l’air grave : « Christine, nous avons bien réfléchi, ton père et moi, tu
vas terminer tes études en pension ? » Stupéfaite, je risquai :
« Pourquoi, maman ? » d’une petite voix enrouée par l’émotion.
« Parce que tu seras moins distraite, mieux suivie, tu te coucheras plus
tôt, tu auras une vie régulière, condition indispensable pour réussir ton
baccalauréat. »
Devais-je me
réjouir ou m’attrister de cette décision ? Le mot pension me faisait un
peu frissonner, car je venais justement de terminer la lecture de Jane Eyre
de Charlotte Brontë et j’avais encore en mémoire les sinistres descriptions de
jeunes filles malades et maltraitées dépérissant lentement dans de vastes
salles sombres, froides et humides. Je savais bien que ces prisons n’existaient
plus mais l’impression sinistre demeurait. D’autre part un changement dans ma
vie n’était pas pour me déplaire. Etant la dernière de la famille, je vivais seule
avec mes parents et bien souvent le silence de la maison me pesait, troublé
seulement par les allées et venues de notre vieille bonne Anna, qui faisait
craquer l’escalier sous ses pantoufles de feutre. Mais de toute façon, contente
ou pas, je devais m’incliner. J’allais donc passer en pension mon année de
première.
- :- :-
Quelques
jours plus tard, j’allai avec mes parents me présenter au pensionnat à
Callenelle, petite localité de Belgique proche de la frontière. Il faisait très
chaud. Une « petite sœur » nous précéda en trottinant et nous
introduisit dans le parloir. Les volets étaient presque fermés pour conserver
un peu de fraîcheur dans la pièce. Une odeur de cire et de lilas nous
accueillit. Un rai de lumière où dansaient de minuscules poussières brillantes,
jouait sur le plancher après s’être attardé sur une tablette encombrée de
revues pieuses et de photos de classes. De la chapelle nous parvenaient de
jeunes voix aiguës chantant : » Lou-ou-é soit à tout instant «
Je me sentais un peu étourdie, droguée déjà comme avant une opération
chirurgicale. Un pas léger, un frôlement, la porte s’ouvrit doucement. Une
menue silhouette noire se présenta : Mme Ste Claire. Ce n’était pas elle
la Supérieure, mais étant la plus ancienne dans le couvent, c’est à elle
qu’incombait la charge de recevoir les parents et d’assurer la bonne
organisation du pensionnat.
Après les
diverses questions d’usage sur la famille, mes goûts, mes aptitudes, Mme Ste
Claire déclara : « Notre petite Christine trouvera parmi nous une
saine atmosphère familiale. » Un silence… Soudain, portées par l’air calme
à travers les fenêtres ouvertes, les voix fraîches de tout à l’heure
explosèrent : « Mon cœur défaille en contemplant
l’hostie !... » La religieuse frottait ses mains l’une contre l’autre
en les tournant comme si elle se savonnait soigneusement. Sa voix grasseyante
et chuchotante, ses yeux inquisiteurs derrière des lunettes aux verres épais
qui les faisaient paraître plus petits, ses mains toujours en mouvement, tout
cela me laissait au cœur une vague inquiétude.
- :- :-
La rentrée des classes autrefois avait lieu
aux premiers jours d’octobre. Depuis quelques semaines déjà la grisaille et la
pluie se chargeaient, jour après jour, de laver nos souvenirs d’été, et les
rendant ainsi moins brûlants, atténuaient nos regrets.
Papa me conduisit en voiture à la Pension. Nous roulions lentement dans une longue allée de tilleuls jaunissants, dont les branches en se rejoignant formaient une voûte de feuillage. Au sortir de l’allée, le pensionnat apparut.
C’était une vaste et ancienne demeure particulière aux proportions harmonieuses, presque un château, Elle avait appartenu anciennement aux Princes de Ligne, et avait fière allure avec son haut escalier menant à la grande porte d’entrée. Deux ailes la prolongeaient à angles droits : celle de droite comprenant au rez-de-chaussée une immense salle avec, au-dessus la Chapelle , et celle de gauche des classes devant lesquelles s’étirait une « pergola ». Au milieu de la Cour d’Honneur, des massifs de buis et des rosiers entouraient la statue du Sacré-Cœur qui, les bras ouverts semblaient nous accueillir. Tout autour de grands arbres frémissaient au vent d’automne et tordaient leurs grands bras encore feuillus.
De petits groupes d’élèves accompagnées de leurs parents attendaient dans les allées. De temps à autre une religieuse affairée rejoignait des fillettes pour les conduire à l’intérieur. Celles-ci embrassaient leurs parents, empoignaient leurs valises et suivaient leur guide.
Ce spectacle
me paraissait étrange et irréel. Il me semblait que j’étais une simple
spectatrice et que je n’étais pas concernée. Alors une voix gaie vint me tirer
de ma torpeur : « Venez, je vais vous indiquer votre alcôve au
dortoir et vous pourrez tout de suite ranger vos affaires. » Je n’eus
que le temps d’apercevoir deux yeux verts rieurs, l’éclat d’un sourire. Déjà la
religieuse me précédait dans le couloir. Je me hâtai à sa suite. Une nouvelle
tranche de vie commençait pour moi.
- :- :-
Dès les premiers jours, je pus constater que parmi les religieuses, deux astres brillaient auprès desquels les autres paraissaient de ternes et pâles étoiles. L’un d’eux allait m’entraîner irrésistiblement dans son orbite, moi, pauvre satellite torturé et affolé. Elles étaient toute deux âgées d’une trentaine d’années. Nous, les grandes, étions unanimes pour admirer leur beauté et leur grâce : Madame St Benoit, grande et fière se tenait très droite un peu raide. Ses yeux noirs, ses traits réguliers et énergiques faisaient beaucoup d’effet sur nos seize ans existants. Très froide, presque hautaine, nous la voyions rarement sourire. « Il paraît qu’elle est comtesse » disaient certaines élèves bien informées. Je le croyais sans peine car je lui trouvais un air aristocratique et, bien qu’elle fût auréolée de prestige, Mme St Benoît ne m’intéressait pas beaucoup. Par contre, Mme Ste Marie-Lucie me subjuguait. Je lui vouai une sorte de culte passionné. Désormais, j’allai vivre au rythme de sautes d’humeur de cette personne fantasque. Ses sourires me combleraient d’allégresse, ses colères me tortureraient. Chaque jour j’allais guetter sur son visage ma joie ou ma détresse comme on guette dans le ciel les signes de beau temps ou de tempête.
Le costume
des Dames de St Maur n’était pas vague et flottant comme la plupart des
costumes de religieuses. C’est Mme de Maintenon qui imposa le costume aux
« Maîtresses Charitables » comme on les appelait au XXVIIe siècle,
lors de la fondation de l’Ordre par le Père Barré.
C’était donc, un peu modifié le costume des grandes Dames de cette époque, On les appelait aussi les « Dames Noires » car aucune blancheur ne venait égayer leur sévère habit. Le buste étroitement moulé était caché par un capulet et la jupe très large, avec d’innombrables petits plis serrés, faisaient ressortir la finesse de la taille. La coiffe ample derrière retombait devant en deux pans encadrant étroitement le visage. Le cou était bien dégagé. Longue et mince, Madame Ste Marie-Lucie avait beaucoup d’allure. Sa démarche rapide soulevait par moments sa longue jupe et révélait un instant ses chevilles recouvertes de bas blancs immaculés. Chaque fois que j’apercevais ses bas, je me sentais émue et troublée comme à la découverte d’un secret. Son visage n’avait pas la froide perfection de celui de Madame St Benoît : ses yeux étaient verts et, j’allais le constater plus tard, pouvaient devenir noirs sous l’effet de la colère. La bouche charnue était grande, le nez très légèrement retroussé, mais ces imperfections mêmes me touchaient. Elle riait d’un rire franc et joyeux en renversant légèrement la tête en avant. Elle n’avait rien de compassé dans le maintien, elle n’était pas du tout « bonne sœur ».

Je m’aperçus vite que les pensionnaires ( je veux parler des grandes ) étaient soit pour « Madame St Benoît » soit pour « Madame Ste Marie-Lucie » et formaient ainsi deux camps. Mais leur admiration était sage et mesurée. Elles n’hésitaient pas entre elles à les qualifier de « vaches » quand leurs notes ne correspondaient pas à leur attente. Ces jeunes personnes issues d’une longue lignée de la bourgeoisie du Nord dont le caractère pratique et calculateur avait fait la richesse avaient bien trop les pieds sur terre pour se perdre dans les sables mouvants d’enthousiasmes exagérés. Elles étaient bien davantage préoccupées de toilettes et de réceptions.
- :- :-
Quel bonheur ! Madame Ste Marie-Lucie allait être notre professeur de français et de latin. Noua allions donc « l’avoir » souvent.
Le premier
cours de français fut un enchantement. Je croyais que Bossuet était un auteur
triste et rébarbatif, Madame Ste Marie-Lucie nous fit découvrir qu’il était un
délicat poète :
« Ô nuit désastreuse ! ô nuit effroyable où retentit tout à coup cette étonnante nouvelle : » madame se meurt ! madame est morte ! » Entendez-vous, nous dit-elle, cette accumulation de « t », ceci pour nous faire sursauter, pour mieux nous plonger dans la stupeur. Ecoutez cette musique : « le matin elle fleurissait, avec quelle grâce vous le savez, le soir nous la vîmes séchée. » La mort subite de cette jeune princesse m’émouvait. Il me semblait avoir perdu une amie très chère. Ces mêmes paroles avaient retenti sous les voûtes de Saint Denis il y avait deux cent quatre-vingts ans, qui avaient bouleversé et fait pleurer toute la cour, ces mêmes paroles restituaient intactes dans toute leur fraîcheur ce pouvoir d’émotion. J’étais stupéfaite. Madame Ste Marie-Lucie m’avait entraînée à sa suite à travers le temps, à travers la beauté immuable. J’avais bu ses paroles, et lui offrais en retour une admiration sans bornes.
Au fil des
cours de français, je découvris cela : les mots ont une vie qui leur est
propre, une vie intense. Ils ont un pouvoir magique car ils sont chargés
d’émotions. Assemblés avec soin, comme il convient, tels des notes de musique,
ou des couleurs sur la toile, ils peuvent provoquer
Cette impression, je la ressentis plus tard avec une acuité extrême en lisant l’Art Poétique de Verlaine : « Le bleu fouillis des claires Etoiles ».
Quatre mots seulement me ravissaient, quatre mots seulement ouvraient la porte du rêve. J’avais découvert un merveilleux trésor et je souhaitais ardemment d’être moi-même, un jour, dispensatrice de rêves.
- :- :-
Certains
jours, après le repas de midi, nous allions en promenade. La campagne en
automne avait une beauté triste. Nous marchions
en silence, et bientôt nous laissions derrière nous les rues moroses du
village aux maisonnettes fatiguées. Dans les jardinets quelques vieillards nous
suivaient de leurs yeux pâles, quelques chiens aboyaient après notre groupe
puis c’était :
« La
plaine, la plaine
« Immensément
à perdre haleine
Emile Verhaeren
Nous longions le canal. Souvent une péniche nonchalante en chiffonnait la soie brillante puis arrivée à l’écluse déchirait le silence de sa morne plainte. Parfois le vent se levait. De gros nuages se pressaient venant de la mer, gonflés comme des voiles. Le vent faisait avec nous un bout de chemin pour nous avertir que la pluie était proche. Il fallait rentrer déjà. Quel dommage ! je regardais avec regret ce ciel de tragédie, ces énormes masses de nuages charriées par novembre. Le vent courait sur la campagne « hallucinée ». Au loin des arbres dénudés traçaient sur le ciel gris un fin réseau de veines noires.
Nous rentrions à la pension étourdies et saoules de vent, la tête pleines d’images et de rêves à ne plus pouvoir travailler de l’après-midi.
- :- :-
Dans la classe silencieuse on n’entendait qu’un léger bruit de pages froissées. Des stylos restaient pointés en l’air comme des canons prêts à la bataille puis, tout à coup, piquaient du nez et couraient sur les feuilles. Nous devions analyser un petit extrait de la Marquise de Sévigné : « Le printemps aux rochers ». Nous devions situer le texte, parler un peu de l’auteur, nous avait recommandé Mme Ste Lucie. Un peu engourdie par l’atmosphère de la classe lourde de toutes nos respirations, j’avais grand peine à rassembler mes idées qui couraient à la débandade. J’essayais de penser à Mme de Sévigné. J’admirais sa verve ; son entrain, son style léger et je l’imaginais si bien qu’il me sembla la voir : des yeux verts, le nez légèrement retroussé, elle devait rire de bon cœur en renversant légèrement la tête en arrière ; Marie de Rabutin-Chantal, Marie-Lucie…. Je confondais les deux, qui, j’en étais sûre, devaient se ressembler, devaient avoir la même aisance, le même esprit pétillant. J’essayais alors de reprendre pied dans la réalité et pour m’y aider, je jetais un coup d’œil vers la fenêtre. En me haussant légèrement j’apercevais par-dessus les vitres brouillées la tête du Sacré-Cœur sur laquelle sautillaient d’irrévérencieux moineaux. Il fallait absolument trouver des idées, les écrire car bientôt il serait temps de rendre les cahiers. Dans ma détresse j’enviais l’insouciance de ces petits oiseaux et la réalité me paraissait bien pénible.
- :- :-
Notre
professeur d’anglais était Mme St Benoît. J’avais remarqué que Martine assez
moyenne en toutes matières, montrait un zèle particulier pour l’étude de cette
langue. Elle savait parfaitement ses leçons. Rien ne lui échappait : les
exemples, les petites de la page ; elle connaissait absolument tout. La
grammaire n’avait pas de secret pour elle, de même le vocabulaire. Elle nous
surpassait toutes et était imbattable. Aussi était-elle très souvent
interrogée. Invariablement Mme St Benoît lui décernait un bref « Very
well Martine ». Je la regardais s’asseoir tandis qu’une roseur diffuse
envahissait sa délicate peau de rousse. Ô Martine ! Comme tu m’émouvais
alors avec tes hanches minces, tes mains étroites, tes grands yeux marron de Pierrot triste. Par ce « Very well,
Martine » tu étais largement récompensée de tes efforts. Ma sœur, ma
pareille à moi, comme je te comprenais ! J’avais découvert ton fragile
secret.
- :- :-
Madame Ste
Marie-Lucie exigeait qu’avant chaque version latine, nous fassions un travail
sur le texte : il fallait souligner les verbes, entourer les mots de
liaison, séparer les propositions principales par des crochets, les
subordonnées par des parenthèses. Après seulement nous avions le droit de
consulter avidement le dictionnaire. Cet
après-midi là, j’avais perdu beaucoup de temps à rêver à je ne sais quoi. Je
commençai en hâte à faire la version, sans faire le travail préliminaire
demandé. Le texte à traduire était « tapé » sur une petite feuille à
joindre au devoir. Le lendemain, ce fut l’horreur. Lorsque j’ouvris mon cahier,
un énorme zéro souligné de trois traits rageurs me sautait aux yeux. En dessous
était écrit : « Vous n’avez pas fait ce qui était demandé. » Au
cours, Madame Ste Marie-Lucie m’adressa de virulents reproches : je n’en
faisais
qu’à ma tête, je me croyais plus maligne que les autres. Ses yeux étaient noirs de colère, toute la classe écoutait, pétrifiée. Pour moi, mieux valait la colère que l’indifférence. Avec ravissement je baissais la tête sous l’algarade comme une fleur assoiffée ploie sous l’averse brutale mais délicieuse.
- :- :-
A l’heure du goûter, nous parcourions l’allée de tilleuls en croquant notre pain accompagné de chocolat. Le lundi, les conversations étaient particulièrement animées, car les pensionnaires qui avaient passé le week-end chez elles aimaient le raconter en détails. « J’ai dansé toute la soirée avec Bruno » déclarait bien haut la grande Marielle sûre de son effet. Pour moi ceci n’avait pas grand intérêt. Les jeunes gens me faisaient penser à de grands papillons brillants et orgueilleux évoluant dans un monde lumineux bien différent de celui où je rampais moi, humble et terne chenille. De sorte que ces conversations m’intéressaient à peu près autant que s’il se fût agi de martiens.
D’ailleurs, qu’iraient-ils faire ces maladroits dans ce fragile monde de femmes, où la moindre querelle d’oiseaux était un événement. Ce monde tremblant et délicat comme une bulle de savon, ce monde secret fermé comme une mafia. Arrière Messieurs ! Il n’est point pour vous de mot de passe ! Nous étions encore, pou la plupart, de timides « Blanche-Neige » enfermées dans leur prison de verre et nous ne rêvions que rarement au jour merveilleux où plus tard …
- :- :-
Pourtant un
homme franchissait chaque jour la grille qui s’ouvrait sur l’allée de
tilleuls : c’était Monsieur l’Aumônier. Il venait dire la messe et donner
les cours d’Instruction Religieuse. Il était extrêmement laid. Il nous
paraissait âgé, mais peut-être ne l’était-il pas vraiment, la tête massive
coiffée de cheveux gris en brosse semblait être posée directement sur son large
buste. Sa soutane luisante, d’un noir usé descendait sur de grosses chaussures
montantes orthopédiques. Il se déplaçait poussivement à l’aide d’une canne en
soufflant beaucoup. Ses yeux petits, presque réduits à des fentes, se cachaient
sous de gros sourcils broussailleux. Son nez se terminait par une sorte de
renflement en boule évoquant le nez des clowns. Son haut col de celluloïd
disparaissait sous des bajoues. Lorsqu’il parlait, à grands renforts de
chuintantes et de sifflantes, une sorte de mousse apparaissait au coin des
lèvres. Son accent belge était si prononcé que, bien souvent, nous avions peine
à cacher derrière notre main de brusques fou-rires qui nous amenaient les
larmes aux yeux.
Mais tel
qu’il était, nous l’aimions bien et nous avions pour lui beaucoup de respect.
Mme Ste Claire l’admirait énormément. Nous l’entendions dire à tout
propos :
« Monsieur l’Aumônier qui a une si vaste intelligence m’a dit que … » ou bien « Monsieur l’Aumônier qui a fait ses études à Louvain … » ou encore "Monsieur l’Aumônier qui est si cultivé … »
Souvent pendant la récréation de dix heures nous voyions apparaître sa large silhouette au bout de l’allée. Alors Mme Ste Claire se pressait à sa rencontre et ils avaient de longues conversations si absorbantes que celle-ci oubliait complètement de frapper dans ses mains pour nous rassembler, de sorte que la récréation qui, normalement devait durer un quart d’heure se prolongeait de cinq ou dix minutes.
- :- :-
Il y avait un ami que j’aimais beaucoup, une sorte de bon génie que je voyais chaque jour. C’était le Catalpa. « Arbre originaire d’Amérique du Sud » lit-on dans le dictionnaire. Mais pour moi ces quelques syllabes sonores, rondes, et luisantes comme des galets évoquent un monde joyeux d’éclats de rire, de charades : « Mon premier est une lettre de l’alphabet », de comptine : Sous mon Catalpa qu’est-ce qu’il y a ? » ou un monde plus secret de chuchotements, de furtives confidences, de mains moites qui se frôlent.
le catalpa en 1953
« Avancez jusqu’au Catalpa ! « ordonnait Mme Ste Claire à notre petite troupe qui se rendait en récréation. Dans nos déplacements en rangs, nous devions emporter quelque livre ou carnet pour réviser nos leçons afin de ne pas perdre notre temps. Au signal donné, nous les déposions et c’était l’envol dans un tournoiement de jupes.
Ô cher Catalpa, aux formes étranges et torturées ! Avec quelle désinvolture nous te confions nos « mots latins », « nos vocabulaires anglais » et « nos livres de géo » ! Et toi, indulgent et patient tu les portais sur tes épaules noueuses, au creux de tes robustes bras tordus qui semblaient s’incurver tout exprès pour les recevoir. Tu exécutais fidèlement ton travail comme un brave serviteur que nous aimions sans trop nous en rendre compte.
En 1958 le catalpa est à terre. Quel âge avait-il ?
- :- :-
Le dimanche
soir nous nous rendions à la Chapelle pour entendre « les Complies ».
En décembre, l’obscurité était déjà totale au dehors. La Chapelle était
seulement éclairée par les cierges de l’autel. Dans la tribune Madame Ste
Cécile et les élèves de la « scola » chantaient les psaumes. Les
paroles latines nous étaient devenues familières et nous n’avions pas besoin de
traduction pour savoir que rien ne pourrait nous atteindre :
« ni la flèche ardente le jour, ni la peste qui rôde dans le soir, ni la contagion qui menace en plein midi ». Alors arrivaient ces mots que j’aimais tant : « Procul recedant somnia et noctium phantamata ». Un peu angoissée je fixais les flammes tremblantes des cierges avec tant d’attente que tout le reste disparaissait, les fantômes de la nuit se dispersaient bien loin parmi les grands arbres. Je les imaginais comme d’immenses chauve-souris mêlant leurs gémissements lugubres à ceux du vent et la chapelle me semblait osciller comme une arche fragile secouée par des forces obscures. Je frissonnais intérieurement envahie par cette angoisse venue du fond des âges, la même qui, à la tombée de la nuit, fait pleurer les bébés dans leur berceau. De tout mon cœur je souhaitais rester dans cette ombre tiède où vacillaient doucement les lueurs apaisantes des cierges, bien à l’abri, loin du monde extérieur, de ses mystères, de ses embûches.
- :- :-
Lorsque nous
disposions de temps libre, nous avions la permission de réviser nos leçons dans
de petites salles inoccupées. Les deux ailes du pensionnat donnaient chacune
sur une petite maison qui avait dû autrefois servir d’habitation aux
domestiques et aux concierges. Les pièces étaient bizarres, ni rectangulaires,
ni carrées, munies de renfoncements imprévus et de murs en biais. Les hautes
fenêtres à petits carreaux avaient de profondes embrasures. La plupart des
pièces communiquaient mais quelques marches les séparaient. Elles étaient un
peu sombres et il y régnait une forte odeur de renfermé. Les larges lattes de plancher
étaient vermoulues et ployaient légèrement sous les pieds. J’aimais beaucoup
ces petites salles, je leur trouvais plein de charme. L’une d’elles avait ma
préférence car dans la pièce attenante se trouvait un piano. Chaque jour,
Claudie venait là s’exercer. Elle jouait « Beethoven », ce que je sus
être plus tard « L’Andante de « L’Appassionata ». Les notes se
déversaient comme une pluie brûlante sur mon cœur à vif. Puis c’était la sonate
« Clair de lune ». Je me
représentais alors la mer calme et unie comme un lac. Sur ce miroir la lune
déployait son vaste pinceau argenté. Pas un nuage au ciel. C’était le calme et
la douleur absolus.
Mais
brusquement tout change. Un frisson parcourt la mer. Le reflet opalin se brise
en mille éclats inquiétants. La mer se hérisse d’une multitude de petites crêtes
menaçantes. Une sorte de frénésie l’agite. Le vent se met de la partie. Des
nuages galopent devant la lune en une course échevelée. Mon émotion est à son
comble, mais bientôt un bruit sourd, le piano a fermé son énorme bouche. Le pas
lourd de Claudie a ébranlé la pièce. Je restai songeuse, essayant de reprendre
mes esprits et d’étudier mes leçons.
Le lendemain matin, je regardais Claudie qui mastiquait lentement sa tartine de beurre, les yeux dans le vague. Comment pouvait-elle jouer du piano avec tant de bonheur ? Comment savait-elle déverser tant de douceur, déchainer tant de tempêtes ? Je pensais à une jolie princesse qui dissimule un mystère. En Claudie habite une fée musicienne.
- :- :-
Noël approchait. Bientôt nous allons nous séparer pour deux semaines. Auparavant une représentation était prévue en l’honneur de Madame la Supérieure. Cette année-là, nous devions jouer Claudel : des extraits de L’annonce faite à Marie. Les « actrices » répétaient avec fièvre après le repas de midi. Un jour, Mme Ste Geneviève ( qui s’occupait de la couture ) descendit du grenier des caisses remplies de déguisements. C’était bien peu de choses : longues jupes, voiles, ceintures de couleur, châles à franges, à ramages, à dentelles ou simples carrés de tissu ; nous étions facilement émerveillées et nous contemplions tout cela avec ravissement. Mme Ste Geneviève avait fort à faire. Pour être plus à l’aise, elle avait serré ses manches autour des poignets en les maintenant avec des épingles à tête. Elle extirpait tout à coup d’une caisse une longue jupe, jaugeait une élève d’un rapide coup d’œil, puis lui ordonnait de l’essayer. Pendant de temps les autres s’en donnaient à cœur joie de virevolter dans la classe, qui avec un châle, qui avec un voile au risque de les déchirer. Ce n’était que poursuites, cris, éclats de rire. Mme Ste Geneviève essayait de dominer le bruit et de calmer les écervelées en criant encore plus fort.
Enfin le
jour impatiemment attendu arriva. La vaste salle d’étude était aménagée pour le
spectacle : à une extrémité, Mme la Supérieure, son fauteuil posé sur une
petite estrade, nous, les spectatrices, sur des bancs le long des murs et à
l’autre bout de la salle : la scène.
Est-ce bien Annette cette frêle jeune
fille en robe blanche qui déclare tranquillement : « Je suis Violaine,
j’ai dix-huit ans, mon père s’appelle Anne Vercors, ma mère s’appelle
Elisabeth, ma sœur s’appelle Mara, mon fiancé s’appelle Jacques ; voilà
c’est fini, il n’y a plus rien à savoir. »
La solide Thérèse vêtue d’une tunique bleue et de collants noirâtres représente Pierre de Craon, le bâtisseur de cathédrales.
Pour nous, il n’y a plus d’Annette, plus de Thérèse. Nous vivons au Moyen-Âge. Nous voyons vraiment la grange de Cambernon, la douce Violaine, l’architecte Pierre de Craon qui lui annonce qu’il a contracté « la lèpre même dont il est parlé au livre de Moïse ».
Maintenant la lumière est bleue et triste. Nous sommes dans la forêt. Violaine devenue lépreuse après le baiser donné à Pierre par charité porte une lourde robe grise. La brune Marie-Paule, je veux dire Mara, s’avance tout habillée de noir. Elle serre contre son cœur un petit paquet blanc : c’est l’enfant qu’elle a eu de Jacques, le fiancé de Violaine. Mara supplie Violaine de ressusciter son enfant mort. On entend faiblement comme venant de loin des cloches et des cantiques de Noël. Mara lit la prophétie d’Isaïe : » Un petit nous est né … » Pendant ce temps Violaine s’est retirée avec l’enfant dans une grotte figurée par un paravent. Violaine reparaît ; « Paix Mara ! Voici le jour de Noël où toute joie est née. » Mara : « Mon enfant vit ! » Les chants de Noël et les cloches sonnant l’Angélus se rapprochent, forment une sorte de tapisserie sonore envoûtante. C’est fini. Les yeux pleins de larmes nous reprenons pied dans la réalité avec difficulté mais contentes de cette magnifique évasion qui, peut-être, laissera un beau souvenir.
Nous n’étions pas très éloignées de l’enfance et pour très peu de temps encore, un pouvoir magique nous était imparti. Passée l’adolescence, la plupart d’entre nous ne se rappelleront même plus qu’elles possédaient ce don royal, inestimable, cette faculté de s’évader complètement du réel. Il suffisait d’un support très mince : une lumière tamisée, une longue robe blanche, une musique de cloches assourdie, pour que nous basculions dans l’imaginaire. Avec Violaine nous pouvions dire alors ; « Ah ! Que le monde est beau et que je suis heureuse ! »
- :- :-
Les vacances de Noël nous renvoyèrent
dans nos familles. J’allais et venais
dans la maison, gauche, maladroite, un peu ahurie, les mains inertes. Maman me
disait : « Veux-tu mettre la table ? « « Veux-tu
acheter du pain ? » « Veux-tu épousseter la salle à
manger ? » J’essayais d’exécuter les ordres mais je me heurtais aux
coins des meubles que j’avais un peu oubliés et qui se vengeaient
sournoisement. Même dans ma chambre je me sentais une intruse ! La maison
tout entière ne me témoignait que froideur et hostilité. Eh oui ! Je
l’avais un peu abandonnée.
Jour après jour, à la pension, je m’étais tissé lentement une toile de rêve et de poésie. Hors de ce doux cocon, je me sentais complètement désemparée. Mais surtout me manquait ma drogue, mon poison, Mme Ste Marie-Lucie. J’avais pris l’habitude chaque matin de déchiffrer son visage avec passion. J’étais devenue très experte en cette lecture et je savais interpréter le moindre signe avec certitude. Une certaine façon qu’elle avait de gonfler la lèvre inférieure indiquait qu’il ne fallait surtout pas la contrarier. Au contraire, une subtile lueur dans le regard, un imperceptible petit pli au coin des yeux m’apprenait que la journée serait bonne, que n’éclateraient pas ses redoutables colères. Me manquaient cruellement ces mille petites émotions qui formaient la trame de ma vie de pensionnaire. Mais de cela je n’étais pas vraiment consciente. Je n’arrivais pas à m’expliquer mon sourd malaise. Et lorsqu’on me demandait si j’étais contente d’être enfin en vacances, à la maison, je répondais le plus sincèrement du monde : « oh oui ! Bien contente ! »
- :- :-
L’après-midi du dimanche était consacrée
à la promenade, si le temps était favorable. Nous marchions en rangs deux par
deux et nous avions la permission de parler. Monique et moi bavardions avec
animation. Nous commentions les « événements » minuscules de
notre vie de pensionnaire. Mais bientôt il ne fut plus question que de
nous. Monique me parla d’une vaste réunion de famille où elle s’était rendue
l’année précédente :
« Chaque personne avait un carton
avec son nom, attaché par un ruban de couleur différente selon la branche à
laquelle elle appartenait. »
-
« Moi aussi j’ai assisté à une réunion de
famille, et nous avions aussi un ruban d couleur. »
-
-« C’était où la tienne ? »
-
-« A Cassel »
-
-« Mais moi aussi c’était à Cassel ! »
-
-« Alors, c’était la même ! »
-
-« Nous y étions toutes les deux ! Ca veut
dire qu’on est cousines ! »
-
« oui, mais cousines très éloignées sans doute.
Je demanderai à Maman. »
-
« Moi aussi je demanderai à Maman. Mais même si
est très éloignées, c’est bien quand même. »
Cette
découverte me remplit d’allégresse. Monique me racontait sa famille. Je crois
que dans mon enthousiasme j’ai dû transformer un peu la réalité car j’étais
étonnée moi-même de me découvrir une famille aussi originale et intéressante.
Puis comme
deux enfants qui explorent leurs poches pour échanger images, gommes et bouts
de crayons, nous échangions avec impétuosité nos « trésors »
c’est-à-dire nos plus beaux souvenirs de vacances. La vanne était ouverte. Moi,
très silencieuse habituellement, je n’arrêtais pas de raconter et de
raconter :
Justement,
ces dernières vacances à Paramé, mes sœurs et moi avions fait la connaissance
d’un personnage étrange et attachant, à la fois poète et musicien ; non pas
un artiste isolé dans sa tour d’ivoire, mais non ! C’était quelqu’un de
chaleureux qui voulait communiquer, partager l’émerveillement qui l’habitait.
Tous étaient bienvenus chez lui qui aimaient la musique. J’expliquais comment
dans sa villa « Les Vagues », la porte grande ouverte sur la digue,
nous écoutions de la musique, nous regardions la mer exulter au soleil en
gerbes d’écume dans la divine joie d’un concerto de Bach. Il aimait
passionnément la nuit. Il s’y sentait à l’aise, comme libéré. Il nous emmenait
parfois dans sa petite cinq CV des années vingt cahotante et asthmatique.
Serrés tant bien que mal à six ou sept sur la plate-forme arrière, la capote
rabattue, nous roulions vers Cancale le long de plages désertes murmurantes et
argentées de lune sous un magnifique ciel étoilé. Personne ne parlait car la
même émotion nous envahissait.
Le soir même, j’essayai de me remémorer l’après-midi écoulé. Que c’était-il passé ? Où étions-nous allés en promenade ? Quelle route avions-nous prise ? Quel temps faisait-il ? Comment était le ciel ? Rien. Je ne me rappelais rien. Pendant presque deux heures j’avais été ailleurs. Quel était mon vrai « moi » ? Etait-ce celui qui, comme un automate bien réglé, marchait dans la campagne avec les autres ? Ou n’était-ce pas plutôt celui qui avait aboli l’espace et remonté un peu le temps ? La puissance de la pensée et de l’imagination n’était-elle pas capable d’un tel prodige ?
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Après la récréation du goûter, nous devions nous rassembler dans la grande salle qui me paraissait immense avec ses nombreuses et hautes fenêtres des deux côtés, des porte-fenêtres. L’une s’ouvrait sur « l’esplanade » où l’on descendait par un vaste escalier. Dans un coin de la salle se dressait un piano. Une élève était chargée de jouer le morceau de Mozart appelé « La Marche Turque ». Il fallait alors sauter en mesure d’un pied sur l’autre à une vitesse accélérée pendant dix minutes. Mme St Augustin dirigeait. Je ne sais pourquoi en la voyant, me revenait chaque fois en mémoire une image de mon livre de contes de Grimm : la méchante reine déguisée en sorcière offre à Blanche-Neige une appétissante pomme rouge.
Malheur à celle qui essayait de se soustraire à l’exercice en se cachant derrière une élève, car la voix de « la sorcière » la rappelait à l’ordre vertement. Ces dix minutes me paraissaient interminables. Enfin, ahuries, les jambes molles, le cœur battant, nous échouions sur nos sièges à l’étude. Là une douce torpeur nous envahissait, entretenue par le subtil chuchotis des élèves apprenant leurs leçons.
Au bout de
la salle d’étude, debout sur l’estrade Mme Ste Claire nous surveillait en
récitant son chapelet. Elle semblait dormir car elle avait les yeux fermés et
oscillait doucement sur ses pieds. Je m’attendais à la voir tomber en avant ou
en arrière, toute droite comme une statue, mais en réalité elle nous regardait attentivement
de ses yeux mi-clos et jamais ne tomba.
L’éclairage insuffisant, l’air lourd de nos multiples respirations, le silence, tout ceci provoquait en nous une somnolence bien difficile à surmonter. Enfin une odeur de soupe de légumes grimpait du sous-sol, s’infiltrait sous les portes, rampait sournoisement, s’élevait jusqu’à nos narines pour nous avertir que la fin de l’étude approchait. En effet peu de temps après, Mme Ste Claire enfermait son chapelet dans une poche profonde puis disait : « Rangez vos affaires. »
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Au début du
mois de mars une bouffée d’air glacé fit irruption dans notre tiède univers.
Le matin
après le petit déjeuner, Madame Ste Claire nous annonça d’une voix chargée
d’émotion la mort de Staline. Nous sentions l’importance de l’événement et nous
nous regardions stupéfaites. Qu’allait-il arriver ? Qui lui
succéderait ? Le Monde n’allait-il pas être bouleversé ? Nous
éprouvions de l’inquiétude. Le lundi suivant les pensionnaires qui étaient
rentrées chez elles pour le week-end apportèrent des journaux. A l’heure du goûter, nous nous bousculions autour du bureau de Mme Ste Marie-Lucie pour regarder les photos. Nous vîmes le corps du colosse moustachu étendu exposé au peuple. Des files interminables de Russes attendaient résignés, les pieds dans la neige et dans la boue, durant des heures et des heures pour un dernier adieu à leur « petit père Staline » ; j’étais péniblement impressionnée car j’imaginais trop bien cette atmosphère de désolation, de froide pauvreté, les visages mornes et tristes des gens habitués à souffrir, baignant dans un demi-jour blafard, cauchemardesque. Il me semblait que ceci se passait infiniment loin, sur une autre planète, irréelle, la planète de la désespérance, et je pensais que ces images évoquaient le Purgatoire ou plutôt l’Enfer bien plus sûrement que les flammes qui le représentent habituellement.
Déjà le
printemps s’annonçait. Nous étions averties par mille petits riens : une
tendre douceur de la lumière, une vibration secrète de l’air qui véhiculait
toutes sortes d’arômes nouveaux ; cette joie éparse dans la nature était
communicative et provoquait en nous une légère excitation. Aux récréations,
nous n’avions plus envie de nous agiter car il ne faisait plus froid et l’heure
était aux brèves conversations, aux demi-confidences près du Catalpa. Monique
me confia :
- C’est
bientôt mon anniversaire. Maman veut bien m’acheter des bas pour mes dix-sept
ans.
- Des bas ! Que tu as de la chance ! Je voudrais tant en mettre !
Ô ces bas de
nylon, blonds et brillants ! Comme ils nous faisaient envie.
Certaines
pensionnaires en portaient déjà le dimanche. Et dans les rangs avant de passer
à la chapelle pour la messe, nous les regardions admiratives. Elles nous
paraissaient vraiment très élégantes avec leurs jambes dorées, longues et
minces sous la robe bleu-marine d’uniforme. Ces demoiselles en avaient bien
conscience car elles avaient une certaine façon de se tenir plus droites que
d’habitude, et semblaient nous regarder de haut, un peu méprisantes, nous, avec
nos épaisses et ridicules chaussettes blanches qui nous faisaient de gros
mollets. Nous les enviions et c’est à peine si nous osions leur adresser la parole
de toute la journée.
Que la grande Marielle qui avait déjà dix-sept ans porte des bas, passe encore ! Mais Elizabeth qui n’en avait que quinze en mettait, c’était intolérable ! C’était de la provocation. Nous, celles en chaussettes étions tout simplement indignées.
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Chaque année, au dimanche des Rameaux avait lieu le chemin de croix dans le village. De grandes croix de bois plus ou moins cachées par la verdure et disséminées dans la campagne indiquaient les quatorze stations.
Concernant la procession c'était la "procession des cagoulards" qui, si ma mémoire est bonne, avait lieu le dimanche des Rameaux, après-midi. Les stations existent toujours (Photo). S. Clicq 2025
Les hommes du village portaient de longues tuniques violettes et leur tête recouverte d’une sinistre cagoule noire et pointue comme les pénitents d’autrefois. L’un d’eux était chargé d’une grande croix. Nous étions dans les Pays-Bas espagnols du temps de Philippe II, et la coutume depuis le XVIe siècle s’était perpétuée jusqu’à nous.
Ce jour-là, le temps était frais et maussade. Monsieur le Curé récitait des prières. On eût dit une triste mélopée. Des rafales de vent cueillaient les paroles sur ses lèvres et nous les apportaient par bribes. Les enfants de chœur l’entouraient. Les surplis de dentelle se gonflaient. Les pans de l’étole du prêtre s’envolaient. La nature torturée n’avait pas su se libérer de l’emprise de l’hiver et revêtait encore sa triste livrée brun-grisâtre. La mince croix que tenait un enfant de chœur oscillait au-dessus des têtes en brillant par moments d’un bref éclat doré. Le vent entraînait des montagnes de nuages. Le ciel bouleversé, les fantastiques cagoules noires, les soutanelles violettes et les surplis immaculés se détachant sur la grisaille environnante, ce monde inversé où le relief était dans le ciel et non pas sur la terre, tout ceci enfin formait un spectacle d’une étrange beauté que n’eût certes pas dédaigné un peintre.
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Pendant la semaine qui précédait la fête
de Pâques, nous restions au pensionnat pour assister aux cérémonies de la
« Semaine Sainte ».
L’office des ténèbres du Jeudi Saint,
qui avait lieu le mercredi soir est resté vivant dans ma mémoire. Rien n’avait
été modifié depuis plus de quatre siècles, nous disait-on.
Au milieu du chœur s’élevait un
chandelier triangulaire portant quinze cierges, dont seules les flammes
éclairaient la chapelle. Les religieuses et quelques élèves chantaient les
psaumes. Lorsqu’un psaume était terminé, une religieuse s’avançait dans le
chœur et éteignait un cierge. Ceci pour signifier que la gloire du Fils de Dieu
disparaissait peu à peu à mesure que se déroulait la Passion. L’obscurité se
faisait de plus en plus dense. Nous étions fascinées par la sévère beauté de ce
rite ancien.
Le chant des psaumes terminé, il ne restait plus que le cierge du milieu. La religieuse le prenait et l’emmenait derrière l’autel. L’obscurité était alors complète. Ce moment rappelait la mort du Seigneur et les ténèbres qui régnaient sur la Croix. On entendait frapper quelques coups derrière l’autel rappelant le tremblement de terre qui eut lieu à ce moment-là.
Mais le moment le plus émouvant était le soir du Vendredi Saint lorsque nous étions rassemblées pour l’Adoration de la Croix : usage qui remontait au Ve siècle à Jérusalem où l’on vénérait un morceau de la vraie Croix du Christ. On chantait alors les Impropères. Ce sont de tendres et doux reproches que le Christ adresse à son peuple. Il lui rappelle qu’il ne lui a fait que du bien depuis les origines, et en échange son peuple ne lui a préparé que des souffrances. « Popule Meus » commençait Mme Ste Cécile. La voix chaude de Mme St Georges s’élevait à nouveau, pleine et émouvante. Nous suivions attentivement les paroles magnifiques de ce bouleversant poème d’amour. Nous étions un peu étonnées que Madame la Supérieure si humble et effacée habituellement, n’hésite pas à se mettre en avant de la sorte. Mais je pense que son humilité était si parfaite qu’elle acceptait simplement de paraître orgueilleuse et ce devait être un sacrifice supplémentaire qu’elle offrait à Dieu.
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De retour à la pension, passées les
vacances de Pâques, nous, c’est-à-dire celles peu nombreuses qui devaient
passer le baccalauréat, eûmes une surprise. Nous quittions le dortoir à alcôves
pour dormir à l’étage au-dessus dans de petites chambres particulières. Ceci
pour nous permettre de « faire nos révisions » le soir jusque dix
heures. Madame Ste Marie-Lucie responsable des « bachelières » avait
sa chambre à l’extrémité du couloir.
Un soir il y avait clair de lune. Ne pouvant dormir j’ouvris ma petite fenêtre : les grands arbres s’agitaient faiblement et murmuraient en rêvant. A droite, un rectangle de lumière se détachait sur le feuillage obscur. Parfois un oiseau criait dans son sommeil et me faisait tressaillir. Tout à coup j’entendis chuchoter à la fenêtre voisine à trois mètres de moi : »Tu veux une orange ? » - « Oui » répondis-je dans un souffle. Alors sous l’œil amusé de la grosse lune dans le ciel, un minuscule bébé-lune se mit à rouler dans le chéneau puis, malicieusement s’immobilisa à un mètre de moi. Je dus me pencher horriblement, tendant mon bras droit pour, du bout des doigts, arriver à faire rouler jusqu’à moi l’orange récalcitrante. En me penchant je vis une fenêtre éclairée. Ah ! C’était donc cela la lumière dans les arbres : une onde d’amour me submergea. Que pourrais-je faire pour elle ? Je pelais mon orange comme on effeuille une marguerite, à chaque morceau de pelure correspondait un rêve : je pourrai m’interposer entre elle et un cheval emballé, entre elle et un chien enragé, entre elle et une voiture en folie. Mais que vais-je faire de ces pelures d’orange. Bah ! Le vent se chargera bien de les disperser, de disperser mes rêves !
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Chaque dimanche après la messe, nous devions écrire à nos parents. Il fallait raconter les minces « événements » de notre vie quotidienne, citer les bonnes et les mauvaises notes que nous avions obtenues, promettre de mieux faire durant la semaine qui s’ouvrait. Je regardais avec étonnement les autres qui écrivaient rapidement et je les enviais car ma feuille restait blanche. Ce qu’il était de bon ton d’écrire me paraissait absolument sans intérêt. J’avais envie de raconter tout à fait autre chose : par exemple que ce matin, à la fin de la messe, à l’instant précis où nous chantions « Regina Caeli Laetare ! » un rayon de soleil creva les nuages, ruissela à travers les vitraux de couleur, illumina la chapelle et les murs exultèrent éclaboussés d’or, de violet et de pourpre.
J’aurais voulu expliquer comment chaque matin nous étions réveillées par les oiseaux qui s’égosillaient avec frénésie, puis lorsqu’ils se calmaient un peu, le coucou moqueur lançait ses deux notes ( il me semblait que c’était fa – ré ). Alors un bonheur immense m’envahissait, bonheur dont je n’arrivais pas à découvrir la cause, joie d’être au printemps, joie d’avoir seize ans, je n’aurais su le dire.
Et puis une autre chose très importante : nous avions appris l’Art Poétique de Verlaine. Je le savais par cœur : « La chanson grise » « Le grand jour tremblant de midi » - Le bleu fouillis des claires étoiles ». Tout m’était enchantement, me transportait au « septième ciel ». Je n’en pouvais plus d’admirer toute seule ce poème magnifique. Mais comment aurais-je pu faire part de mes émois alors que Madame Ste Claire lisait nos lettres attentivement au bout de notre table au réfectoire, après le repas de midi, en attendant que Madame la Supérieure donnât le signal des « Grâces ». Je ne pouvais m’imaginer la scène sans frémir. Aussi je n’écrivais pas.
Madame Ste Claire s’approchait et me
chuchotait : « Christine, vous êtes une ingrate jeune-fille.
Vous ne voulez pas écrire à vos chers parents qui font tant de sacrifices pour
vous. »
Finalement, à la récréation après le repas, je devais m’isoler dans une petite salle avec l’ordre absolu d’écrire ma lettre. Je composais donc pour Madame Ste Claire un chef-d’œuvre de sécheresse et de banalité.
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Le soir entre huit et neuf heures, nous (c’est-à-dire la division des grandes) nous réunissions dans la classe de Madame Ste Claire. C’était la dernière heure de notre journée. J’aimais cette heure paisible. Nous étions détendues car nous ne craignions pas d’être interrogées. Madame Ste Claire parlait « à bâtons rompus » sur le ton de la conversation. Nous devions faire notre « ouvrage », ce qui consistait à broder de gros « pois » entre deux rangées de « jours ». Au mois de mai, à cette heure-là, il n’était pas nécessaire d’allumer les lampes. Les draps blancs épars sur les tables noires donnaient à la classe un aspect insolite. Il émanait d’eux une lumière légère et blafarde un peu comme durant l’hiver lorsque le sol est couvert de neige. Tout en tirant docilement l’aiguille, nous écoutions Madame Ste Claire. Il était souvent question de détails de savoir-vivre, de politesse ou de morale. Nous nous laissions bercer par sa voix un peu monotone. Mais, parfois, elle nous parlait de ce qu’elle aimait : la Pologne, son pays. Sa voix changeait, devenait vibrante pour nous décrire les pèlerinages au monastère de la « Vierge Noire » de Czestochowa, nous en racontait l’origine. Nous écoutions attentivement, gagnées par son émotion.
Certains soirs, elle voulait nous donner ce qu’elle appelait une « ouverture sur le monde ». Alors nous plantions notre aiguille n’importe où dans le drap, abandonnions « jours et pois » pour mieux boire ses paroles. Le martyre de la famille impériale de Russie nous émouvait au plus haut point. Nous imaginions les petites princesses et leur jeune frère malade, le sinistre Raspoutine nous faisait frissonner et nous frémissions d’horreur au récit du cruel et tragique dénouement. Puis, en quelques mots, elle nous décrivait Lénine traversant l’Allemagne dans un wagon plombé. D’autres fois il était question des grandes dictatures en Europe : Mussolini, Franco, Hitler. Elle avait le don de nous rendre vivants ces personnages à l’aide de quelques termes précis et bien choisis. Certains soirs, elle nous emmenait en Chine, nous racontait la lutte entre Chang-Kaï-Chek et Mao-Tse-Tung, ou bien nous expliquait le désastre de Pearl Harbour et la « fin du monde » vécue par les deux villes du Japon . Elle brossait pour nous à grands traits une vaste fresque vivante et colorée des événements des quarante dernières années, événements qui, à cette époque, étaient encore proches de nous, mais dont nous n’avions que de très vagues notions. A neuf heures, encore toutes frémissantes d’émotion, nous montions en silence cirer nos chaussures.
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Pendant les cours de mathématiques je m’ennuyais profondément. Je ne comprenais pas qu’on puisse trouver de l’intérêt à cette précision, à cette clarté, cette sécheresse. Je ne savais pas que les mathématiques sont belles parce qu’elles sont vraies, qu’on les trouve partout dans la nature jusque dans les délicats cristaux de neige et que sans les mathématiques, il n’y aurait pas de cathédrales. Peut-être, si on m’avait expliqué cela, me serai-je réconciliée avec elles au lieu de les mépriser. Plus tard, je regrettai beaucoup mon attitude. Mais alors, tandis que j’écoutais distraitement, je dessinais sur mon cahier de brouillon. Toujours les mêmes dessins en recouvraient les pages : de gracieux bébés joufflus et dodus à souhait. On disait autrefois que les petits enfants morts sans baptême allaient dans un lieu de délices, mais étaient privés de la vue de Dieu. Ce lieu s’appelait « les Limbes ». J’imaginais très bien ce séjour de rêve. Je voyais une vaste prairie constellée de pâquerettes et de boutons d’or. Là, de mignons bambins s’ébattaient joyeusement dans une lumière dorée sous la tranquille surveillance de doux anges aux longues ailes frémissantes. Tout en rêvant je dessinais, mais, tout à coup une main preste se saisissait de mon cahier et le faisait passer dans la classe. J’attendais désolée que mon cahier me revînt. J’avais acquis une grande célébrité avec mes dessins de bébés. C’est vrai qu’ils étaient beaux mes chérubins avec leur crâne rond et duveteux, leurs yeux en grain de café, leur petite bouche étonnée entre les joues rebondies, leur menton minuscule et leurs coudes potelés creusés de fossettes. Les uns jouaient à saute-mouton, d’autres faisaient des pirouettes, d’autres encore cueillaient des fleurs. J’imaginais mes enfants plus tard, je me voyais entourée de ces êtres charmants sans penser même que ce temps est éphémère et ne représente qu’un cout instant de la vie.
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Au début de mai, avait lieu la procession des « Rogations ». Nous déambulions, toutes classes réunies des plus petites aux plus grandes, une longue file à travers le parc. Monsieur l’Aumônier venait en tête en secouant le goupillon d’un geste mécanique. Nous demandions la protection du ciel sur la nature environnante. Tous les saints étaient invoqués. Quel plaisir de se promener au soleil dans le parc en chantant. Les tilleuls embaument une douceur sucrée un peu douceâtre, « ora pro nobis », les grands marronniers de l’esplanade dressent leurs grappes blanches, comme autant de petits cierges : « ora pro nobis », les abeilles lourdes de pollen bourdonnent à qui mieux mieux : « ora pro nobis », les papillons un peu ivres zigzaguent au-dessus de nos têtes : « ora pro nobis ». Exceptionnellement le jardin potager, amoureusement entretenu par les « Sœurs » a eu notre visite. Les salades, les choux, les pois étaient la fête. L’eau bénite pleuvait sur leur tendre verdure.. A présent nous demandions à Dieu d’écarter de nous les catastrophes : de la foudre et de la tempête : « Libera nos Domine ! » Du fléau des tremblements de terre : « Libera nos Domine ! » Bientôt nous arrivions vers une petite reconstitution de la grotte de Lourdes. Dans l’ombre du rocher, la Vierge souriait doucement à la frêle Bernadette dont les épaules grises s’ornaient de blancs pétales d’aubépine.
Parfums délicieux, soleil, ciel d’azur, tiédeur caressante de l’air, joie profonde. C’était pour moi déjà un avant-goût du Paradis dont nous implorions la protection.
Ô ces glorieux dimanches de mai :
Nous allions joyeusement au « Bois de France » cueillir le muguet.
Sur la route nous pépiions comme des moineaux enivrés de soleil, mais lorsque
nous pénétrions dans le bois, les conversations s’éteignaient d’elles-mêmes. Un
bois, c’est un peu comme une église. La majesté du lieu requiert le silence.
Entre les arbres s’étalaient une profusion de muguet. Non pas de ces grêles
fleurettes qui se cachent frileusement sous les feuilles, mais de grasses et
fières clochettes odorantes. Rapidement nous ramassions cette manne
merveilleuse que nous offrait généreusement le printemps. De temps en temps je
me relevais pour regarder autour de moi. Les frênes laissaient filtrer une
lumière dorée qui devenait verdâtre en traversant les limbes délicats de leurs feuilles.
Les rires, les exclamations étaient assourdis, absorbés par cet épais tapis
végétal. On eût dit un bois enchanté. Je me rappelai alors une histoire de la
Comtesse de Ségur. Si je m’éloignais, peut-être les branches se resserreraient-elles
derrière moi et comme la princesse Blondine, je serais prisonnière de la
« forêt des muguets ». Puis je ferai la connaissance de Bonne-Biche
et Beau-Minon les gracieux animaux enchantés chargés de la surveiller.
Mais bientôt Madame Ste Claire s’approchait en frappant dans ses mains et nous revenions à la pension les mains pleines de notre récolte odorante. Je n’ai jamais vu depuis une telle abondance de muguet. Nous en avions chacune plusieurs bouquets que nous portions à nos narines avec délices ; ce qui faisait dire à Madame Ste Claire : « Mes enfants ! Cessez donc ! C’est de la sensualité ! »
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Juin arrivait, apportant avec lui la fièvre des examens. Tout se passa très vite ; tellement vite qu’il ne m’en est resté aucun souvenir précis : chaleur, attente, anxiété, énervement, émotion. Et si je n’entendais pas appeler mon nom !…. Et si je n’ai pas fini en temps !.... Le cœur bat, la tête tourne, les pommettes sont rouges, les mains moites. Puis quelques jours de répit. Admissibilité à l’écrit ! Oral à passer à Lille. Les émotions recommencent. Enfin ça y est ! Nous étions quelques-unes à être reçues. Un très petit nombre, trop petit pour mobiliser un professeur pour une classe de philosophie aussi réduite. Trois jours avant le départ pour les grandes vacances, nous retournons au pensionnat pour assister à la distribution des prix, rassembler nos affaires et faire nos adieux car le bruit courait selon lequel Madame Ste Marie-Lucie allait partir, ce bruit donc se confirmait et la nouvelle tomba sur moi brutale et définitive, comme un coup de massue : Madame Ste Marie-Lucie allait enseigner à Roubaix. Il n’y aurait pas de classe de philosophie l’année prochaine. Je ne pouvais donc pas rester à Callenelle.
Le jour du départ en vacances, mes parents vinrent me chercher. Le chaud soleil de quatre heures enveloppait le pensionnat et le parc d’une lumière dorée. La voiture démarra doucement pour emprunter l’allée de tilleuls. Tandis que nous roulions lentement vers le Catalpa, un subit coup de vent l’agita. Il inclina à mon passage ses frondaisons aux larges feuilles comme s’il me saluait. Adieu mon beau, mon cher Catalpa !
A ce moment précis, je ressentais une
douleur fulgurante, mon cœur se déchira car j’eus complètement conscience de
l’écoulement du temps. Je compris alors que tout avait « commencé de
finir ». Plus jamais je ne connaîtrai cela : ce merveilleux et
émouvant secret, cette mystérieuse et tendre complicité entre les êtres, avec
les choses. C’était fini ! Je me retournai et vis avec détresse la statue
du Sacré-Cœur s’éloigner. Je gardais mes yeux fixés obstinément pou empêcher les larmes de couler.
Arrivée au bout de l’allée, la voiture obliqua à gauche. Maman dit : « demain il faudra essayer tes robes de l’été dernier ». D’une voix éteinte je répondis :
«
oui, demain ! ….. »


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